Compte rendu de la Rencontre pro. « Prendre en compte la question du genre en médiation scientifique »

Par Noëmie Lozac’h-Vilain, avec les notes de Manuelle Rovillé

 

De la responsabilité des médiatrices et médiateurs pour l’égalité ou l’inclusion.
La veille de la Journée internationale des femmes et filles de science, l’École de la médiation et plus particulièrement l’association partenaire des Petits débrouillards organisaient une Rencontre pro. à Marseille : « Prendre en compte la question du genre en médiation scientifique ».
En cette veille de Journée internationale des droits des femmes, je me propose de vous en faire mon compte rendu, légèrement biaisé…

 

1. Sexe et genre

Quelles sont les différences entre Femmes et Hommes ? Lesquelles sont d’ordre biologique (relèvent du sexe), ou sont construites par la société et la culture (genre) ?

Au début, les post-it que nous avions rédigés semblaient simples à classer (capacité à être enceinte, organes du plaisir, doses hormonales / occupation de l’espace public, vêtements, rôles sociétaux et attentes sociales…).

Les échanges nous ont amené·es à devoir nuancer le classement :

Certaines différences biologiques peuvent être accentuées par la société, par exemple la pilosité.

Le sexe est défini par la biologie : ce qui relève du corps, physique, qui est inné. Mais, à partir du moment où on a la possibilité de se faire opérer, cela ne deviendrait-il pas systématiquement sociétal ?

 

Point sur la binarité ou la continuité de sexe et de genre, par Idriss Tellier

Nous parlons souvent de deux sexes biologiques (femelle et mâle) et de deux genres (femme et homme), mais c’est en réalité bien plus compliqué.

Il existe des personnes intersexuées, qui présentent à la fois des caractéristiques sexuelles masculines et féminines. Par exemple un micropénis au-dessus d’une vulve. Cela concerne environ 2% des naissances en France chaque année.

Cela se produit car un humain n’a pas 1 sexe mais 3 sexes biologiques :

  • le sexe chromosomique (XX/XY, qui peut présenter des anomalies) ;
  • le sexe gonadique (qui régule les hormones : testicules/ovaires) ;
  • le sexe phénotypique (pénis/vulve).

Ainsi même lorsqu’on présente un seul sexe phénotypique (pénis OU vulve), nos caractères sexuels secondaires (ex : pilosité, poitrine, masse musculaire…) peuvent différer de ce qui serait attendu (par exemple avoir un pénis ET des seins, avoir une vulve ET de la barbe…).

 

De la même façon, il existe des personnes dont le genre dépasse les catégories assignées au sexe biologique. Par exemple : les personnes androgynes, transgenres, transsexuelles, travesties, drag-queen (…) correspondent à des individus dont les comportements débordent de leur assignation de genre, et iels sont loin d’être les seules ! Entre la femme soumise et l’homme macho, il existe une gamme infinie de comportements qui montrent qu’il n’y a pas de limite tranchée et que nous sommes toutes et tous un mélange des deux genres !

Sexe et genre sont deux caractéristiques distinctes de chaque individu : nous naissons avec un sexe mais pas avec un genre (ce dernier s’acquiert en grandissant car il est l’expression de données culturelles). Par conséquent il existe une multiplicité de combinaisons possibles entre sexe et genre ; et comme le genre n’est pas une donnée immuable dans le temps, il est possible d’en changer au cours de sa vie.

 

2. Stéréotypes et inégalités

Et les différences entre Hommes et Femmes de sciences ? Là encore, stéréotypes (associations entre ambition, persévérance, sérieux, précision et masculin, quand le féminin est associé au soin, à l’irrationnel et à la créativité) et inégalités réelles (orientations universitaires, évolutions de carrière…) se mélangent, et se nourrissent.

 

Pourquoi les stéréotypes, même connus et combattus continuent d’avoir des effets réels ?

  • La désirabilité sociale est un biais qui consiste à vouloir se conformer aux attente sociales.

Ce processus est conscient quand l’attente est positive (pour être aimé), et implicite (inconscient) quand l’attente est négative (effet d’étiquetage, par exemple chez les cancres).

D’où la fort importance du vocabulaire : il conviendra d’éviter toute étiquette négative qui encourage la réduction progressive mais réelle des performances.

La menace du stéréotype expliquée par le modèle de Schmader, Johns et Forbes (2008)

La menace du stéréotype expliquée par le modèle de Schmader, Johns et Forbes (2008)

  • La menace du stéréotype empêche la bonne mobilisation de ses ressources,  qu’on adhère ou pas à cette idée reçue.

En effet, comme le montre la modélisation, la mobilisation du processus de surveillance, nos efforts pour inhiber les pensées et émotions négatives réduisent les ressources attentionnelles, tout particulièrement en situation de stress, dans des contextes d’évaluation.

Notre cerveau essaie de repérer toute attente sociale (y compris les négatives). Plus un domaine est stéréotypé, plus le cerveau déploie de l’énergie (consommation de ressources attentionnelles, alors non attribuables à l’activité évaluée).

Ainsi, notre mémoire de travail, c’est-à-dire la capacité de manipuler un grand nombre d’informations en même temps, est diminuée, qu’on adhère ou pas au stéréotype.

Nous disposons de moins d’attention disponible, donc moins d’attention à allouer à l’activité, donc nos performances sont moins bonnes. On voit ici que les performances ne peuvent pas traduire uniquement les compétences (Huguet & Régner, Stéréotype de genre et performances cognitives, 2007).

Autre explication de l’impact des stéréotypes sur nos représentations, l’activation sémantique. On la retrouve notamment dans la féminisation des métiers. Une jardinière, une cuisinière, ou une chauffeuse seront d’abord associées à des objets. Le lien est notamment renforcé par les algorithmes sur Internet. L’effet de menace du stéréotype n’est pas lié à notre adhésion mais au nombre de fois où on y est confronté·e. Il est causé par la distance des concepts stéréotypés dans notre cerveau en fonction de notre exposition à leur association dans notre quotidien. Tout dépend du contexte social donc.

La force d’un stéréotype dépend de l’âge, car elle dépend du nombre d’occasions où on le rencontre. Enfant, on n’en rencontre pas trop. La période le plus vulnérable est comprise entre 10 et 22 ans. Après, en grandissant, on multiplie nos rencontres avec d’autres cultures, créant d’autres associations, ce qui nous « re-protège » un peu.

 

3. Comment déconstruire un stéréotype ?

Ne pas chercher à effacer un stéréotype déjà présent. Si on veut lutter contre, on risque de le renforcer, en réduisant la distance entre les deux concepts.

Il est préférable d’associer une autre stratégie, de créer de nouvelles associations.

  • Créer d’autres associations de concepts : rechercher des contre-exemples.

Par exemple, parler d’une fraise comme outil de bricolage ; présenter un personnage fille et non garçon dans une activité qui parle de maths…

  • Créer des associations positives en faisant du ludique, en apportant du plaisir.

Le plaisir va contrer la réponse physiologique au stress, libérer les ressources consommées par le stress afin d’améliorer les performances.

  • Éviter d’activer le stéréotype en ne faisant pas penser aux différences de performances. On n’active pas l’attente sociale de différences ;

Par exemple dans une consigne, ne présenter l’exercice ni comme une activité de mathématiques, ni comme une d’arts plastiques.

  • Désactiver en nommant explicitement la non-différence si l’on est obligé·e de nommer l’activité stéréotypée.

On désactive l’attente sociale de différences. Par exemple : « sur cette épreuve de mathématiques on ne voit aucune différence entre les filles et les garçons ».

 

4. Quelles applications dans nos pratiques ?

Nous avons débuté une liste de recommandations à destination des professionnel·les de la médiation. Celle-ci va être complété, discuté, travaillé, et deviendra un outil partagé. Vous aussi, n’hésitez pas à réagir à cet article en commentant les propositions, et en apportant de nouvelles.

 

En amont, Identifier ses propres stéréotypes genrés pour pouvoir éviter de les véhiculer.

  • Questionner son vocabulaire, ses expressions
  • Comment distribue-t-on la parole ?
  • Quels comportements valorise ou facilite-t-on ?
  • Assister à des animations avec cette grille de lecture pour faire remonter tous les biais
  • Organiser des ateliers sur le sujet et s’arranger pour faire venir plus d’hommes
  • Intégrer ces ateliers dans des formations obligatoires ?

 

Pendant la conception de ses animations

  • Rechercher de nouvelles associations et des contre-exemples pour déconstruire nos stéréotypes
  • Travailler les consignes, les images
  • Intégrer dans les objectifs de son action des indicateurs autour de l’égalité Femme/Homme

 

Pendant l’animation

  • Récupérer les représentations du public sur les femmes et les hommes (cf. désirabilité sociale)
  • Débattre pour identifier les stéréotypes genrés évoqués pour comprendre comment ils rentrent dans nos têtes qu’on y adhère ou non (cf. activation sémantique)
  • Montrer l’effet de menace ou/et les conséquences en termes d’inégalité (cf. différence entre performances et compétences)
  • Déconstruire les stéréotypes du public avec des contre-exemples et des outils divers
  • Encourager la désactivation des stéréotypes via la formulation des consignes
  • Favoriser la mixité des demi-groupes (éviter les femmes d’un coté et les hommes de l’autre)

 

Points de vigilance pour des animations spécifiquement sur le genre

  • Se préparer à discuter du genre continu et du genre binaire
  • Bien définir la notion de genre avec son public
  • Chez les enseignant·es, il y a souvent une confusion entre la notion de genre et de sexe biologique

 

5. Biaisée ?

Oui, je suis biaisée, et c’est sans doute présent dans ce compte-rendu.

Déjà, j’étais très heureuse de venir à Marseille. Il faisait tellement plus beau qu’à Paris, le ciel bleu me donnait le sourire, j’étais dans de très bonnes conditions.

Et puis, c’est une question à laquelle je suis sensible. Déjà, je suis une femme. Je me définis comme féministe. Depuis 4 ans, je parle et écris inclusif. C’est devenu totalement naturel, et j’aime le faire remarquer à mes interlocuteurs et interlocutrices qui trouvent ça illisible et ne s’en étaient même pas rendu compte. Depuis peu, je dessine un clitoris à côté de chaque pénis tagué sur un mur. Histoire de rendre plus visible le plaisir féminin.

Sachez donc, en lisant ces quelques lignes, que c’est un regard subjectif sur la journée et la problématique. Mais peut-on réellement être neutre sur des questions de valeurs ?

Et la présence dans l’atelier d’un seul homme, contraint car en stage au Petits débrouillards, n’est-elle pas aussi un indicateur fort ? Pourquoi les hommes ont-ils tous ressenti cet atelier comme non prioritaire, laissant les femmes de leur équipe s’y rendre ? Comment alors sortir ces questions du cercle des initiées, déjà convaincues et élargir l’acculturation ? Doit-on forcer les hommes à venir ? Imposer la thématique dans des réunions autour d’autres thèmes ? C’est un sujet qui nous questionne beaucoup en ce moment à l’École de la médiation, et a fait l’objet de l’édito de notre dernière lettre d’info.

Nous ne manquerons pas de vous informer de l’évolution de nos réflexions…

 

 

Quelques liens :

 

 

Rencontre pro « Prendre en compte la question du genre en médiation scientifique »,

Lundi 10 février 2020 à Marseille

Une rencontre-atelier École de la médiation, organisée et animée par

  • Manuelle Rovillé : Ingénieure Agronome, Formatrice et Médiatrice Scientifique aux Petits débrouillards,
  • Idriss Tellier neuropsychologue et docteure en psychologie. Formatrice et médiatrice scientifique.