Réflexions sur la base de La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, Myriam Revault D’Allones, Seuil, 2018, 144 p.

 

Gianni GIARDINO, maître de conférence à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et membre du consortium de l’Ecole de la médiation

08 Novembre 2018

 

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Dans une omniprésence de la théorie du complot, des populismes et des Fake-News, un grand brouillage entre le vrai et le faux règne dans cette nouvelle ère dite de la post-vérité : « les faits deviennent des affaires d’opinion » interdisant dans le même temps les débats contradictoires qui pourraient être construits sur la base d’une argumentation objective.

 

Post-vérité. Ce terme est apparu en 2016. Il fait allusion à un ensemble de manipulations et de retraitements de la vérité. Dans ses aspects sociétaux, la vérité devrait appartenir en premier sceau au pouvoir politique qui par sa fonction doit en être détenteur, émetteur, en contrôler la justesse et la libre circulation et surtout en assurer le respect. Dans ses dimensions sociétales et pour ses vertus politiques et démocratiques, la vérité appartient aussi et dans le même temps aux individus, aux citoyens, aux électeurs. Les choix effectués lui sont intimement liés car relatifs la qualité de cette vérité. Elle est une aide à la décision où la notion de vrai et de faux a toute son importance parce que gouvernant le choix lui-même. Entre vrai et faux, le poids apporté à la décision politique du citoyen n’est pas nouveau. Cette dualité a existé de tout temps au sein du débat intellectuel et philosophique, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, et notamment lorsque Karl Marx rappelle l’immense importance de la justesse du vrai et du faux dans ses dimensions les plus politiques car intimement liés à la gouvernance. On trouve aussi cette dualité du vrai et du faux chez d’autres auteurs comme Freud, bien entendu dans le conflit du choix, ou même chez Nietzsche pour les notions de valeurs qui lui sont liées[1].

 

Chez Nietzsche justement, la notion de valeur morale et métaphysique – le bien/le mal, le vrai/le faux, etc. – importe parce qu’étant susceptible d’une élévation culturelle de l’homme. Mais cette élévation nécessite une détermination ainsi qu’une hiérarchisation des valeurs. Ainsi dans son œuvre, Nietzsche critique la construction chrétienne opérée en occident sur cette base car construction construite le plus souvent sur la domination et donc utilisée comme un instrument ayant déshumanisé les rapports entre les individus. Il y critique aussi la part idéaliste de la pensée de Platon en la considérant comme un obstacle à l’épanouissement et introduit à ce titre le concept de nihilisme[2]. La doctrine nihiliste consiste à nier le vrai au lieu de l’assumer pleinement et par la même conduit à instaurer un ensemble de négations réussissant à installer de fausses réalités. Ce point nous importe ici. En effet, selon Nietzsche, le nihilisme vise à construire une forme d’idéal qu’il qualifie de transcendant et qui serait susceptible de mieux satisfaire les individus dans la constitution d’un meilleur, d’un monde meilleur, domaine habituellement réservé aux religions, aux philosophies ou même au politique ; un meilleur que ces champs n’arrivent plus à instaurer, voire n’arrivent plus à conceptualiser ou même simplement à idéaliser. Dans cette volonté de réinstauration du meilleur et dans cette idéalisation d’un meilleur individuel, toujours selon Nietzsche et comme souligné en note plus haut, il n’existe pas de faits en soi mais n’existent uniquement que des interprétations des faits. D’autant que pour pouvoir être appréhendés et devenir compréhensibles, les faits se doivent justement de devoir être interprétés.

 

Qu’il s’agisse du domaine philosophique, ou du domaine politique lorsqu’on s’intéresse à la cité et à la vie politique de la société, s’ajoute actuellement à ce relativisme du vrai et du faux construit sur l’interprétation une nouvelle forme récente de prétendue vérité. Elle est à l’œuvre dans certaines déclaration qui vont jusqu’à nier les évidences qui s’offrent et s’imposent à nous. On assiste à ce type de négations de la réalité et donc de la vérité bien sûr chez les négationnistes ainsi qu’au travers des manipulations lobbyistes que j’évoquerai plus loin. Mais on assiste aussi à cette nouvelle négation de la vérité dans les déclarations récurrentes de certains leaders politiques comme Donald TRUMP qui vont jusqu’à nier les faits bruts à contrario des évidences[3]. La vérité est désormais outrageusement manipulée et son contrôle, sa confirmation ou son infirmation, ne sont plus sérieusement assurés. L’aveuglement face à cette nouvelle réalité, souvent enjolivée, adaptée et de circonstance, est suffisamment puissant pour que le vrai puisse être totalement réinterprétée et face place nette au faux. Dépourvue de sens, le vrai ne peut qu’être mieux nié.

Contre toute attente et de manières de plus en plus fréquentes et récurrente s’impose à la société cette nouvelle forme d’un mensonge pour lequel la notion même de vrai et de faux et la notion intrinsèque de vérité n’ont donc plus aucun sens. Récurrente chez certains, elle tend à se généraliser y compris aux plus hauts niveaux. Cette disparition de la vérité affecte les individus dans leurs relations sensibles mais aussi dans leurs relations au sensible, car affectant la notion même de rationalité. Pour appréhender cela, il importe de distinguer deux formes de vérité.

D’une part existe la vérité rationnelle. Elle est le plus souvent d’origine scientifique au sens large. Elle établit et analyse les faits, non dans leurs approche ontologique et sur la base de ce qui peut être constaté, appréhendé, perçu, interprété et donc traitée par le sensible, mais au contraire construit sur une vérité objective et sur la base de ce qui peut-être établi comme indiscutable et démontré. Par cette approche, la vérité est rendue indiscutable et se distancie donc de toute appréciation subjective. Par la qualité et la certitude de sa démonstration, le fait objectif se trouve séparé de la plupart des formes de relativisme. Cette vérité scientifique ne peut donc être mise en balance, relativisée ou débattue dans un cadre de confrontations de seules opinions où seulement tenteraient de s’imposer des points de vue.

D’autre part et à contrario, existe ce que les faits disent mais cette fois au travers de leurs appréciations sensibles et qui restent bien entendu discutables. C’est justement cet aspect relativisme de la pensée au travers de l’interprétation qui pose problème au sens où la vérité peut justement devenir et se résumer cette fois à de simples opinions.

 

Dans ce face à face entre scientifiquement établi et opinion, on pense naturellement aux positions prises quant au climat. Le changement climatique est scientifiquement constaté et les tendances démontrables et démontrées, quand bien même subsistent quelques incertitudes relatives aux futurs et aux devenirs qui nous attendent. Les faits scientifiques sont là et seuls les intensités des futurs possibles sont encore susceptibles de discussions. En miroir de cela, les climato-sceptiques quant à eux proposent dans leurs interprétations une autre réalité, une réalité alternative, celle d’un problème … qui n’existe pas ! Au delà de nier l’évidence scientifique et sans même chercher à réinterroger le fait scientifique, ils laissent se disséminer ce qui repose essentiellement sur une opinion adroitement travestie en information. Ils entreprennent une négation de la vérité même. Entre ce qui relève du fait scientifique et du point de vue, s’immisce alors le doute. Ce processus de déstabilisation qui collabore étroitement à ce qu’on peut appeler une « industrie du doute »[4] est une technique d’ailleurs habilement utilisé par les lobbies dans leurs fonctionnements propres[5].

Or pour nos démocraties, tout autant que la vérité scientifique, la pluralité des opinions importe et le relativisme des positions importe tout autant … mais à condition que puisse être interrogée une vérité accessible, vraie, et susceptible d’aider justement à la construction de cette pluralité d’opinions qui deviendrait alors objective. Se pose donc la question de ce que peut être une vérité objective.

 

Certaines vérités ne dépendent pas de l’action humaine. Les lois physiques de la nature en sont. Elles sont édictées par des lois devenues même universelles, et qui peuvent se vérifier de la même manière dans tous les recoins de l’univers. A contrario, il existe des vérités qui sont relatives parce que ne prennent appui que sur ce qui apparaît comme relevant du vraisemblable. Au niveau de la cité et plus largement du politique, c’est d’ailleurs plus le vraisemblable qui prévaut car la plupart du temps dépendant étroitement de la contingence. Or cette nouvelle situation de contingence conduit à un résultat bien différent de ce que pourrait dire ou faire envisager le vrai. Par le jeu de jugements partagés et collectifs, le contingent peut transformer voire travestir complètement la réalité et la véracité recherchée. Cette question n’est pas nouvelle et se pose depuis l’antiquité au cœur de la cité. Ainsi Platon stipule la nécessité d’une vérité élaborée par ceux qui savent et d’une vérité construite sur l’analyse du fait. Aristote quant à lui est au contraire adepte de la contingence. Il propose une vérité qui se doive d’être justement contingente pour pouvoir être à même d’agir et ce de manière adaptée au sein de la cité. Cependant et dans le même temps cette contingence, puisque relative, porte atteinte à la capacité d’élaborer des jugements fondés sur le vrai.

La dualité précédente cette fois déplacée des sphères du vrai vers celles du contingent est d’importance. En effet la contingence repose plus souvent sur des opinions et des positions arbitraires qu’elle ne repose sur une recherche de la vérité et d’un vrai indiscutable. Cette situation dresse bien entendu le lit des propos les plus farfelus dont les thèses complotistes[6]. A ce stade tout devient alors suspect et à cet égard les fonctions disséminatrices des réseaux sociaux constituent autant de caisses de résonnances infinies et particulièrement appropriée pour généraliser et disséminer la suspicion, le doute et la contestation sans pour autant réussir à apporter la preuve ultime, ni dans un sens, celui de la certitude, ni dans l’autre, celui de la détraction voire à minima de l’incertitude. Par voie de conséquence, la défiance se renforce, notamment à l’égard de l’activité politique de nos démocraties ainsi que de l’activité même du politique qui est souvent accusé de tirer les ficelles du dit complot. Cette situation contribue à détériorer l’appréciation de la politique, de toute action dans ce sens, et de l’homme politique lui-même. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure l’inconscient collectif n’associe-t-il pas systématiquement au terme même de « politique » un vaste cortège de suspicions, de doutes ou de dénégations ?

 

Au travers des interrelations et des mises en commun qu’opèrent les individus et les citoyens dans les espaces d’interactions démocratiques qui sont les leurs, le fonctionnement démocratique de nos sociétés se trouve par voie de conséquence fragilisé par une suspicion qui règne désormais systématiquement au sein du ressort ou de tout acte politique. Entre les citoyens à la recherche d’un vrai construits et indiscutable, et ceux pour lesquels la vérité relève de ce que l’on pourrait caractériser de véritable délit d’opinion, les situations, les positions et les choix divergent radicalement. Les approches très opposées les unes aux autres deviennent totalement incompatibles et toute tentative de conciliation disparaît. Surgit alors une indifférenciation généralisée entre un vrai et un faux qu’il devient impossible de situer avec exactitude et donc impossible d’arriver à faire converger vers un sentiment de certitude objective. Tout devient possiblement vrai, et tout devient possiblement faux ! Le partage et la mise en abyme n’existent plus. Le vrai ne se démontrant plus au sein des échanges, la société tend vers des oppositions radicales et même vers le conflit. La vérité n’existe définitivement plus parce que reposant sur des approches trop radicalement opposées et en retour fait le lit des interprétations, des bonimenteurs, des populistes, de la machine à générer le doute, des thèses complotistes en tous genres, du dégout de la chose politique et par voies de conséquences de la désagrégation de nos démocraties.

Cet univers flou et brouillé et cette mise à l’épreuve du vrai, les tentatives qui sont celles des « lanceurs d’alertes » relèvent d’actes qui cherchent eux à ne plus dissocier la vérité de l’acte politique. Il s’agit pour eux de réussir à faire s’imposer une réalité indiscutable sur le fond en utilisant d’ailleurs principalement les leviers de la presse comme à nouveau autant d’outils comme objets de certification et de disséminations pour eux aussi comme caisses de résonnances ; une presse qui tout autant et à son tour est perçue complotiste. Il s’agit pour les « lanceurs d’alertes » de rendre leurs actions profitables en tentant de réinstaurer les bases même d’une vérité factuelle et ainsi de pourvoir rétablir le présupposé démocratique fondé en l’espèce sur la certitude et d’indiscutabilité des faits. Dans cette utilisation des faits et des différents leviers susceptibles de les faire connaître et de les partager, les « lanceurs d’alertes » tentent la mise en place de certaines formes de contre-pouvoirs. S’ils ont le mérite d’exister et de réalimenter la chose politique, dans le même temps et à l’inverse ils alimentent aussi les thèses complotistes qui font valoir des tentatives de manipulations derrière ces actions.

Dans un double aspect des choses, celui de cette vérité qui dérange et aussi d’une tentative de dépassement de l’action politique, habituellement contrôlée certes par la cité, mais très souvent aussi pilotée par des pouvoirs plus ou moins identifiés[7], on imagine facilement les volontés de faire barrage aux « lanceurs d’alertes », de bâillonner la presse et de mettre en place du côté des gouvernances les leviers nécessaires qui tendent à discréditer voire à museler ces tentatives et autres contre-pouvoirs. Dans cette volonté de barrage, le politique se discrédite à nouveau et alimente une critique déjà forte à son endroit. La thèse de la vérité contingente décrite plus haut et proposée par Aristote ne peut plus se satisfaire de ces nouvelles incertitudes et se trouve naturellement altérée dans ses fondements mêmes par des appréciation de tentatives de manipulation voire de permanence de complots ourdis.

Dans cet ensemble de situations complexes, l’action politique est interprétée comme se trouvant alors fermement et définitivement séparée d’une volonté réelle d’accès à la vérité. Ceci est d’autant plus délicat que l’action politique n’est pas de construire du vrai, mais bel et bien de construire une opinion publique, partagée, recourant à la communauté des individus mais construite sur du vrai. Mais alors, qui croire ? Le vrai et le faux n’étant plus opératoires, le politique et l’action politique n’étant plus crédibles, la porte est alors grande ouverte aux post-vérités, aux vérités qui n’en sont pas, au déclaration qui contredisent les faits et aux propos fallacieux qui se font autant de nouvelles certitudes. Au nom de vérités multiples qui n’en sont pas et qui ont cependant la force de générer des changements d’opinions permanents, fréquents et continus, la fragilité de la certitude ne fait que se renforcer. Le vrai et le faux n’existent définitivement plus, la pensée partagée se délite et l’incertitude permanente gagne la partie dans une volatilité généralisée ou toute nouvelle information, vraie, fausse, imposée ou contingente peut avoir prise et est aussi valable d’une autre. Pour le coup, toutes les opinions sa valent.

Si le recours au vrai reste difficile et compliqué, élaborer une opinion publique collective le devient donc tout autant. Ceci est d’autant plus difficile que nos démocraties recourent généralement à la binarité des choix ne serait-ce que par le vote. Se posent alors aussi plusieurs autres questions. Où se situe la relativité du choix dans le vote ? Que fait-on des opinions divergentes ? Que devient la contingence ? Sera-t-elle prise en compte ? On peut en douter. Que deviennent alors ces opinions divergentes ? A leur tour ne risquent-elles pas de s’enferre dans les thèses du complot ou être interprétées comme cherchant justement à élaborer le dit complot ? Que deviennent les débats qui s’appauvrissent sans cesse dans d’inutiles faces à faces ? N’assiste-t-on pas à l’évaporation de l’intérêt pour le politique ainsi qu’au dépeuplement de l’agora ?

Ceci fait une fois de plus le lit des populismes comme autant de nouvelles certitudes bâties artificiellement. Le contexte y est propice et habilement exploité par ceux qui prônent l’idée selon laquelle le peuple détiendrait instinctivement la vérité tant recherchée. Selon eux, l’idée est que justement le peuple – notamment ceux qui se sont prononcés favorablement en leur faveur et à qui il est fait barrage – serait justement la part de la population détentrice de cette vérité contingente propre au débat démocratique, une vérité que les oppositions politiques chercheraient à museler. Ces nouveaux détenteurs du vrai seraient alors les garants d’une nouvelle forme de rationalité qui n’en est pas, une où tout barrage à leur endroit est la justification même de l’existence de complots, situation indémontrable elle aussi.

On mesure donc bien le délitement de la notion de vrai, les positions plus que jamais relatives et surtout subjectives qui s’imposent. Il devient désormais impossible de construire des certitudes dans cet espace cacophonique où chacun se replie sur les siennes. Le dialogue n’est ni opératoire ni même possible, puisque relatif à des référentiels trop différents et des arguments incompatibles entre eux. Toutes les interprétations se valent et toutes les hypothèses même les plus falsifiées peuvent être prises en compte comme autant de nouvelles certitudes.

 

Une issue possible pourrait être celle de l’imaginaire. Cet imaginaire qui fait jaillir les utopies et qui dans ses pratiques imaginatives parle d’un ailleurs, parle de ce « meilleur » évoqué plus haut et susceptible d’éclairer et d’enrichir les points de vue et donc les sociétés qui s’y intéressent[8]. Mais méfions nous de cette situation perfide, dramatique et dangereuse ou le vrai et le faux n’existent plus. Hanna Arendt ne disait-elle pas des totalitarismes qu’il s’agit essentiellement de «  […] projet[s] né(s] dans l’esprit de certains hommes déclassés [visant à] dérober à d’autres leur sens de la réalité »[9] ?

 

[1] Sur ce point, l’œuvre de Nietzsche consiste d’ailleurs en une forme de critique des principales valeurs de la culture occidentale que sont les valeurs morales, philosophiques, religieuses et politiques. Nietzsche opère une critique radicale de la vérité dans laquelle il souligne que l’idéation n’est qu’un jeu de perspectives et surtout d’interprétations. Par l’interprétation et au travers de l’idéation le jugement se trouve altéré et par la même la manière de voir le monde, tout en rappelant cependant que tous les points de vue ne s’y valent pas pour autant.

 

[2] Notons que ce concept apparu au XIXème siècle est fondé sur la négation de toute croyances et de toute valeurs (état, religion, famille, etc.), voire même sur la négation de toute réalité objective. Le nihilisme est donc à la source d’un doute généralisé, depuis les causes des faits jusqu’aux intentions des hommes, et vaut ainsi dans tous les domaines. Il couvre tous les aspects de tout ce qui relève de croyances, depuis leurs dimensions religieuses jusqu’aux aspects les plus politiques en passant par leurs aspects philosophiques.

 

[3] Selon Donald TRUMP, la pluie s’est « immédiatement arrêtée et le ciel s’est ensoleillé » lors de son discours d’investiture. C’est en ces termes qu’il nie les faits, situation à l’évidence contraire à toutes les constatations faites et aux enregistrements audiovisuels établis. Ce nouvel arrangement avec la vérité se retrouve aussi quant à la surévaluation du public présent en comparaison à l’investiture de Barack OBAMA. Force est de constater que la véracité des faits n’est plus essentielle. Seul prime le discours au delà des réalités. Surtout, seul compte qui en est l’émetteur et notamment la confiance qui lui est portée. Existe donc désormais une forme de pathologie à créer non pas seulement du doute mais bel et bien du faux en niant contre toutes les évidences qui s’imposent à tous. Il s’agit ainsi de réussir à dire et même faire dire que l’évidence constatée n’existe pas, voire n’a jamais existé.

[4] A ce titre je renvoie le lecteur à Les marchands de doute, Naomi ORESKES, Erik M. CONWAY, Le Pommier, 2012, 526 p., ou comment certains « scientifiques » eux-mêmes ont réussi à masquer certaines vérités.

 

[5] Pour faire simple et rapide, le processus de déstabilisation est assez caricatural mais néanmoins efficace et systématique. Pour décrire la démarche lobbyiste, je prendrai l’image d’une fusée à 5 étages. Le 1er étage consiste – et justement pour ce qui nous occupe ici – à nier les faits et l’ensemble des évidences. Le problème n’existe pas ! Cela a été le cas pour l’industrie du tabac comme il en est aujourd’hui pour les pesticides qui ne pollueraient pas et ne seraient pas dangereux pour la santé publique, ni pour ses utilisateurs professionnels, ni même pour les populations les plus rapprochées voire la consommation alimentaire que nous en faisons. Quand la limite d’incrédibilité est atteinte, lorsque enfin commencent finalement à se distinguer le vrai du faux, le 2d étage de la fusée consiste à mettre sur pied des fondations et autres instituts dits scientifiques dont la fonction relève justement d’une soit disant production scientifique. On se doute que ces productions puissent être discutables quant aux protocoles expérimentaux utilisés, aux insuffisances techniques, à la faiblesse des analyses statistiques, etc. On s’en doute, ces productions cherchent surtout à servir le groupe industriel concerné. A ce titre, je rappellerai aussi que ces entreprises recourent à des officines dotés de scientifiques et autres consultants scientifiques à même de rédiger dans un langage approprié des résultats idéalement divergents pour mieux semer le doute auprès de nos instances administratives et politiques. Le récent ouvrage Lobbytomie, Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie, Stéphanie HOREL, La Découverte 2018, 368 p. qui y évoque une « chaine de crédibilisation » le rappel d’ailleurs fort bien. 3ème étage de la fusée, envoyer par monts et par vaux des scientifiques souvent en mal de reconnaissances et surtout surpayés pour organiser quelques conférences dans des lieux habilement choisis pour distiller une information scientifiquement discutable, sur le fond et sur la forme, et par ses arguments et par sa construction. 4ème étage de la fusée, en mettant justement en exergue les résultats expérimentaux contradictoires voire falsifiés, il s’agit de continuer à distiller le doute en polluant de contradictions les assemblées et conférences de celles et ceux qui peuvent être considérés comme les spécialistes scientifiques du domaine. La vertu du – vrai – scientifique étant de vérifier avant de se prononcer, ces assemblées ont du mal à prendre d’entrée, clairement et de manière déterminée, une position radicale et tranchée tant que la solidité des propos n’est pas définitivement assurée. Les médias sont le cas échéant convoqués dans ce débat et vont se faire abondamment et à souhait les relais et les caisses de résonnances des doutes et des incertitudes. 5ème et dernier étage de la fusée, continuer et entériner le processus de déstabilisation sur des appréciation « vagologiques » ou dénuées de sens en soutenant des comparaisons selon lesquelles par exemple que la météorologie n’étant pas d’une grande certitude à 5 jours, comment pourrait-elle l’être à 50 ans ? Ou quant aux OGM sur le fait que nous mangeons du bœuf depuis une éternité et que pour autant des cornes ne nous sont pas poussées sur la tête. A l’évidence, nous ne parlons pas des mêmes choses et n’évoluons pas dans les mêmes registres. Il n’en demeure pas moins qu’à nouveau l’opinion publique est profondément sensible et marquée par ce genre de comparaisons qui n’en sont pas.

 

[6] Il en va du changement climatique mais aussi du premier pas sur la lune qui ne serait qu’un montage cinématographique ; ou même quant à la platitude de la terre. Dans cette négation du vrai, tout peut être considéré comme préparé, calculé et construit en vue de manipuler l’opinion publique. La thèse du complot ne demande plus qu’à y être convoquée.

[7] Entendons par pourvoir non seulement le pouvoir d’état mais les pouvoirs qui avancent masqués et qui sont ceux des groupuscules et autres congrégations influentes, des écoles de pensées, de la finance, de l’économique, du dictat consumériste, des lobbies.

[8] George ORWELL dans 1984 traite justement de cet au-delà imaginaire qui lui aussi n’existerait plus, et donc cette fois d’un monde cauchemardesque où même l’imagination disparaît faute de savoir distinguer le vrai du faux et d’avoir les outils nécessaires pour le faire.

 

[9] Correspondances 1949-1975, Hannah Arendt, Mary Mc Carthy, Stock, 2009, 528 p.